vendredi 30 septembre 2016
Fascination du djihad
Par VS, vendredi 30 septembre 2016 à 11:18 :: Martinez-Gros, Gabriel
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vendredi 30 septembre 2016
Par VS, vendredi 30 septembre 2016 à 11:18 :: Martinez-Gros, Gabriel
mardi 27 août 2013
Par VS, mardi 27 août 2013 à 12:26 :: Taubes, Jacob
Mais le problème est plus fondamental. La division en «gauche» et «droite», qui est mortelle depuis 1933, mortelle pour la gauche […1], lorsque, après la guerre, la guerre civile s'est poursuivie sur le plan intellectuel (en tout cas, je viens d'une ville2 où la première question est toujours: est-il de gauche ou de droite? Je ne cacherai pas que j'ai du mal à m'y faire). […]
On voit très bien que ce schéma gauche-droite ne tient pas la route, et en effet, l'ancienne Ecole de Francfort était en rapport étroit avec Schmitt, si nous considérons non pas seulement les chefs officiels de l'Ecole, à savoir M. Horkheimer et le «musicien» Adorno, mais également Walter Benjamin, un esprit plus profond qui, en décembre 1930, écrit encore une lettre à Carl Schmitt et lui envoie son livre sur le Drame baroque accompagné de la remarque suivante: «Vous remarquerez très vite combien ce livre vous doit dans sa présentation de la doctrine de la souveraineté au XVIIe. Permettez-moi de vous dire, en outre, que grâce à vos méthodes de recherche en philosophie de l'Etat j'ai trouvé, dans vos œuvres ultérieures, particulièrement La Dictature, une confirmation de mes méthodes de recherche en philosophie de l'art.» Quand j'ai eu cette lettre en main, j'ai appelé Adorno et je lui ai demandé: «Il y a deux volumes de correspondance de Benjamin. Pourquoi cette lettre n'a-t-elle pas été publiée?» Sa réponse a été que cette lettre n'existait pas. J'ai alors répliqué: «Teddy, je reconnais les caractères d'imprimerie, je connais la machine avec laquelle Benjamin écrivait, ne me racontez pas d'histoires, j'ai le texte en main.» Adorno a alors dit que cela n'était pas possible. C'est une réponse typiquement allemande3. J'en ai alors fait une copie et la lui ai envoyée à Francfort. Un archiviste, M. Tiedemann, s'y trouvait encore. Et Adorno m'a rappelé en disant: «Oui, cette lettre existe bien. Mais elle a été perdue.» J'en suis resté là!
Jacob Taubes, La théologie politique de Paul, Seuil 1999, annexe 1 p.143-144
1 Un passage n'a pas pu être enregistré.
2 Rappelons que Taubes arrive de Berlin, où il enseigne. [N.d.T.]
3 Allusion sans doute à ce vers célèbre du poème de Christian Morgenstern: «Weil nicht sein kann, was dicht sein darf» (car ce qui ne doit pas être ne peut pas être). [N.d.T.]
samedi 13 août 2011
Par VS, samedi 13 août 2011 à 15:49 :: Mauriac, Claude
[…] Malraux servit de Gaulle et fut desservi par lui. Il lui apporta beaucoup et n'en reçut rien. Si puissant était, pour «la gauche», le préjugé antigaulliste que l'on s'y étonna de voir Malraux survivre à cette conversion. Tel est son génie (tel celui, enfin reconnu par les hommes de gauche, de de Gaulle) qu'il a gagné, à la fin, n'ayant rien perdu de son prestige s'il n'y a rien ajouté.Comme Mauriac interroge Malraux, il s'en suit un échange de manuscrits afin de vérifier que tout ce qui est rapporté par Mauriac convient à Malraux, qu'aucune indiscrétion n'est commise.
[…]
Et d'autant plus que l'on oublie le risque majeur qu'il y avait, au temps où Staline menaçait l'Europe, à être antistalinien. «Le prix sera peut-être le poteau d'exécution», me disait Malraux, le 19 mars 1946…
Claude Mauriac, Et comme l'espérance est violente, p.138-139, (29 mai 1975)
2 rue d'Estienne-d'Orves, Verrières-le-Buisson,Dans cette première partie, Claude Mauriac tente d'analyser l'esprit de chevalerie qui entourait de Gaulle, ce dévouement inconditionnel (malgré les heures de doute) et cette foi que lui vouait son entourage. Il part du postulat que ce sentiment ou cette sensation sont intransmissibles, resteront incompréhensibles à ceux qui ne les ont pas vécus, et il se désole à plusieurs reprises que sa tentative soit vouée à l'échec. Or il me semble que c'est faux: ce sentiment de chevalerie, c'est l'aura qui entoure la Résistance et c'est bien ainsi que de Gaulle est (était?) présenté en classe, rapproché de Jeanne d'Arc (deux résistants à l'envahisseur), ce qui le nimbait d'un peu de son auréole et de son mystère de sainte (les voix et la prédestination).
le 22 février 1974.
Cher Claude Mauriac,
Je vous remercie d'avoir eu l'attention de m'envoyer les épreuves de votre livre.
Vous avez tenté une aventure considérable, dont personne, à la publication du livre, ne sera réellement juge. Même le rapprochement avec vos autres livres me semble vain. Pour que ce Temps immobile devienne ce qu'il est, il faut que le lecteur ne vous connaisse pas, n'ait pas connu François Mauriac; que demeurent seulement, d'une part, un passé dont vous aurez battu les cartes, et d'autre part, la relation avec le temps, de celui qui écrit: je. En face de cette relation, tous les personnages seront unis à l'ancêtre de 1873, séparés cependant de lui par l'optique et par le style. On a maintes fois écrit pour la postérité, mais il s'agit d'autre chose: de s'adresser délibérément à l'avenir. Ce qui était peut-être inévitable lorsque vous preniez le temps pour l'accusé. […]
Ibid, p.147
— Camus demanda au Général: «Comment servir la France?» Et le Général répondit: «Qui écrit bien la langue française sert la France!» (p.162)
Cette amitié, donc, cette communion sans équivalent. Et l'impression, aussi, malgré tant de contradictions, d'être dans ma voie, enfin…Claude Mauriac admire Foucault pour son intelligence et son humour, Michel Foucault respecte Mauriac pour sa droiture et son intégrité. C'est tout à fait évident après que Mauriac a fait lire les épreuves de son livre à Foucault, comme avec Malraux, là encore pour garantir que rien n'est infidèle ou indiscret.
Côté négatif: ces contradictions si nombreuses, dont l'impossibilité de concilier mon amitié pour Israël avec ma collaboration de fait avec les comités Palestine. J'ai été pris très vite dans (le mot, banal, répond à l'exacte réalité) l'engrenage. J'ai fait rire, hier, à la réunion de la rue Marcadet (la Maison verte du pasteur Heidrich) en disant: «Je ne puis vous être d'une petite utilité que dans la mesure où je ne suis pas gauchiste… du moins officiellement.» Cet «officiellement» m'a échappé.
Mais aussi: l'impression désagréable de ne pouvoir isoler et préciser les points d'accord. De devoir accepter par solidarité, ou lâcheté, ou distraction, des formulations qui n'ont point mon adhésion. […] (p.298-299. 19 novembre 1972))
Claude Bourdet arrive donc, très tard, lorsque tout est fini, ce qui est une chance, car, s'il avait été là plus tôt, son goût sympathique de la nuance, de l'équilibre, de la perfection, aurait rendu, dès cette première réunion, toute action pratique impossible. Tandis qu'il énonce les noms, très nombreux, de ceux qui, selon lui, devraient figurer au départ même de notre association, noms difficilement assemblables et qui exigeraient, pour être réunis, l'adjonctions d'autres participants encore, pour qu'un dosage subtil maintienne l'équilibre entre les Eglises, les partis, etc., je dis, à voix basse, à Michel Foucault:
— Nous voyons là comment et pourquoi ces hommes admirables de la Résistance ont manqué le destin politique qui était le leur… (p.369-370. 17 mai 1972))
— Ecoutez, il y a quelque chose d'essentiel qui nous sépare: je suis fondamentalement contre la violence. Vous disiez par exemple, tout à l'heure, que vous ne faisiez pas confiance au pouvoir actuel pour appliquer la peine de mort. Cela m'a fait froid dans le dos…
Approbation accusée de Serge [Livrozet]; discrète de Foucault.
— … Et je vous le dis tout net: moi je ne vous fais pas confiance pour l'appliquer non plus. Et d'autant moins que je suis inconditionnellement et que j'ai toujours été, à une exception près, que je regrette, contre la peine de mort…
Attention marquée de Sartre.
— Même à la Libération j'étais contre la peine de mort. La seule exception, que je ne me pardonne pas, a été Salan.
Silence.
— La vérité est que je suis avec vous parce que vous n'êtes pas au pouvoir, et que je cesserai d'être des vôtres dès que vous serez au pouvoir. Après une déviation gaulliste de vingt-cinq ans, que je ne regrette pas, je me suis découvert, ou retrouvé, avant tout contre le pouvoir, quel qu'il soit. (p.423. 6 décembre 1972)
[Foucault répond] — Je ne me souviens pas. Mais, dans ce cas-là, il vaut mieux choisir l'expression la plus forte. Disons donc qu'il [un C.R.S.] m'a dit: «Je vais te faire avaler tes lunettes…»
Le même humour, de nouveau. Cette gaieté dans la voix. En moi, le même étonnement. J'ai pour habitude de chercher toujours à être le plus vrai possible. Il paraît que, dans l'action politique, ce n'est pas recommandé. (p.433. 21 décembre 1972)
Foucault dit: ne pas minimiser non plus. Ce ne sont pas les mots, mais le sens. Avec cet humour silencieux qu'il y a entre nous et nous rend complices, — tout se passant entre les mots, si bien que répéter les mots trahit plus que ne traduit ce que nous pensons et exprimons vraiment. Les mots:
— Ce qu'il y a d'ennuyeux, avec Claude Mauriac, c'est qu'il s'en tient à la stricte vérité, qu'il n'entend rien à l'utilisation politique des faits…
Non, les mots n'étaient pas tout à fair cela non plus. C'était le même débat que celui de «la bonne vieille sciatique» qu'il me conseillait de ne pas nommer telle, après les coups que j'avais reçus de ce C.R.S., boulevard Bonne-Nouvelle —et qui se révéla n'être point une sciatique, en effet—, si bien que c'était peut-être lui qui avait raison, après tout.
Je l'exaspère (ou plutôt: il feint d'être exaspéré) par mon objectivité systématique à l'égard des flics eux-mêmes. Que le petit gros banalisé me semble plutôt sympathique le met hors de lui (ou plutôt: l'incite à faire semblant de l'être, lui et moi étant au fait des règles de notre jeu). (p.569-570. 22 septembre 1975, retour d'Espagne où un groupe est allé protester contre la mort attendant des opposants à Franco).
Les cèdres de Roissy. Je lui dis que je sais, par ma grand-mère, dont le grand-père était à Wagram, qu'ils sont les derniers vestiges du parc de Law. Cela l'intéresse. Il dit d'un ton rêveur:
— Vous avez connu quelqu'un dont le grand-père était à Wagram… (p.552. 22 septembre 1975)
1 : Les espaces imaginaires. Ne pas en rechercher de recension ici, il fait partie de mes multiples billets en retard.
2 : si l'on en croit une remarque de Compagnon à propos de Proust.
vendredi 24 juin 2011
Par VS, vendredi 24 juin 2011 à 09:20 :: Schmitt, Carl
Les morts vont vite, et ils vont encore plus vite s'ils sont motorisés.
Carl Schmitt, Théorie du partisan, p.291 (Calmann-Lévy).
dimanche 19 juin 2011
Par VS, dimanche 19 juin 2011 à 23:46 :: Aron, Raymond
« Travail : ce qui est susceptible d'introduire une différence significative dans le champ du savoir, au prix d'une certaine peine pour l'auteur et le lecteur, et avec l'éventuelle récompense d'un certain plaisir, c'est-à-dire d'un accès à une autre figure de la vérité.»
La liberté est un de ces mots qu'aucun parti n'abandonne volontiers à ses adversaires. Aussi, sait-on moins que jamais ce qu'est la liberté dont tout le monde se réclame et que chacun revendique.Les deux livres dans lesquels ont été puisées ces citations sont Alain de Libera, La querelle des universaux et Carl Schmitt, La notion de politique.
Que tous les citoyens aient le droit de voter pour les coandidats de leur choix, que les journaux expriment des opinions cotnradictoires, que les chefs soient critiqués et non acclamés, voilà des faits simples, difficilement discutables, qui permettent, semble-t-il, de reconnaître les régimes politiques de liberté. Illusion, vous répondront de profonds penseurs. Il s'agit là de libertés formelles, plus apparentes que réelles dont ne profitent que les privilégiés? Qu'importe au chômeur, la multiplicité des opinions, des journaux, des partis? Qu'importe à l'ouvrier le droit d'exprimer sans danger ses désirs ou ses jugements? Le prolétaire est esclave du capitaliste, quel que soit le camouflage sous lequel le capitaliste essaie de dissimuler cet esclavage.
Les hommes profitent inégalement des libertés que laissent les démocraties bourgeoises, on le reconnaîtra avec regrets, mais sans réticences. On ne nie pas l'insuffisance des libertés formelles, on met en doute que l'on puisse parler de liberté réelle lorsque ces libertés formelles ont disparu. On dira que les sociétés ne sont pas libres qui interdisent de discuter l'essence de la liberté. Une classe, un parti, un pays, qui prétend au monopole de la liberté et entend que la définition de ce mot soit soustraite à toute controverse est certainement exclu du camp de la liberté.
L'esprit libre refuse les marchands de sommeil, pour reprendre l'expression d'Alain, comme les sociétés libres refusent une orthodoxie imposée par l'État. L'esprit libre n'est pas celui qui promène sur les choses et sur les êtres un regard indifférent. Il avoue franchement les valeurs qu'il respecte, il ne fait pas mystère de ses préférences , de ses affections et de son hostilité, mais il ne soumet pas les événements à une interprétation toute faite à l'avance. Il est assez sûr de sa volonté pour ne pas avoir besoin que le monde la confirme chaque jour. Il n'attend pas que l'Histoire ou quelque autre idole ancienne ou nouvelle lui donne raison.
On a reproché à la collection d'être «orientée». A coup sûr, elle est orientée si l'on entend par là que tous les auteurs appartiennent à une famille. Je ne songe pas, sous prétexte de libéralisme, à accueillir ceux qui refuseraient la discussion ou qui déformeraient les faits pour les plier à leur système.
Le fanatisme aveugle, mais le scepticisme n'est pas une condition de la liberté. Auguste Comte disait qu'il n'y a pas de grande intelligence sans générosité. Peut-être la suprême vertu, en notre siècle, serait-elle de regarder en face l'inhumanité sans perdre la foi dans les hommes.1
Raymon Aron
mardi 31 mai 2011
Par VS, mardi 31 mai 2011 à 10:11 :: Schmitt, Carl
P.97 «Idéologie, culture, civilisation, économie, morale, droit, arts, divertissements, etc. » Dans son compte rendu de 1932 (Tom. n°356), p.745, Leo Strauss met le doigt sur le mot divertissements (Unterhaltung). A juste titre. Ce mot est ici tout à fait inadéquat, il correspond au stade inachevé de ma réflexion d'alors. Aujourd'hui je parlerais de jeu (Spiel) pour faire ressortir plus nettement le concept opposé à celui de sérieux (Ernst) que Leo Strauss a bien su discerner. Ce qui préciserait également le sens des trois concepts politiques issus du terme de polis qui ont été formés et différenciés par l'étonnant pouvoir ordonnateur de l'État européen de cette époque: la politique à l'extérieur, la police à l'intérieur et la politesse en tant que jeu courtois et «petite politique»; voir à ce sujet mon étude Hamlet oder Hekuba; der Einbruch der Zeit in das Spiel (Hamlet ou Hécube; l'irruption du temps dans le jeu), particulièrement le chapitre Der Spiel im Spiel (Le jeu dans le jeu) et Exkurs über den barbarischen Charakter des Shakespeareschen Dramas (Digression sur le caractère barbare des pièces de Shakespeare). Dans tous ces exposés, le mot jeu (Spiel) serait à traduire par play et il pourrait maintenir en balance une certaine hostilité à vrai dire toute conventionnelle entre joueurs adverses (Gegenspiel). Autre chose est la théorie mathématique des jeux, qui est une théorie des games et son application au comportement humain, présentée par John von Neumann et O. Morgenstern, dans Theory of Games and Economic Behavior Princeton University Press, 1947. Amitiés et hostilité y deviennent éléments de calcul et y sont toutes deux abolies, à l'exemple du jeu d'échecs, où l'opposition entre blancs et noirs n'a plus rien à voir avec l'amitié et l'hostilité. Cependant, ma solution de fortune divertissements implique aussi des allusions au sport, à l'organisation des loisirs et à ces phénomènes nouveaux d'une société de l'abondance dont je n'avais pas encore une conscience assez claire, vu l'atmosphère de la philosophie allemande du travail qui régnait alors.
Carl Schmitt, La notion de politique, p.190 (1932, revu en 1963 - Calmann-Lévy 1972) blokquote>
Par VS, mardi 31 mai 2011 à 09:43 :: Schmitt, Carl
Le romantisme du XIXe siècle (si l'on renonce à faire de ce mot un peu dadaïste un véhicule de confusions d'un style bien romantique) n'est en réalité que ce stade esthétique intermédiaire entre le moralisme du XVIIIe et l'économisme du XIXe siècle, il n'est qu'une transition réalisée par le moyen de l'esthétisation de tous les secteurs de l'esprit, opération facile et couronnée de succès. Car l'évolution qui part de la métaphysique et de la morale pour aboutir à l'économie passe par l'esthétique, et la consommation et la jouissance esthétiques, si raffinées soient-elles, représentent la voie la plus sûre et la plus facile vers une emprise totale de l'économie sur la vie intellectuelle et vers une mentalité qui voit dans la production et dans la consommation les catégories centrales de l'existence humaine.
Carl Schmitt, La notion de politique, p.138 (1932 revu en 1963, Calmann-Lévy 1972)
vendredi 27 mai 2011
Par VS, vendredi 27 mai 2011 à 00:30 :: Schmitt, Carl
Dans une Europe en proie à la confusion, une bourgeoisie relativiste s'occupait à transformer en produits de consommation esthétique toutes les civilisations exotiques imaginables.
Carl Schmitt, La notion de politique, p.115 (1932 - Calman-Lévy, 1972)
lundi 23 mai 2011
Par VS, lundi 23 mai 2011 à 06:03 :: Taubes, Jacob
Donc il y a une gigantomachie que j'ai concentré avec le mot pur, autour du mot pur. Que ce mot pur joue un grand rôle en philosophie, cela ne peut vous avoir échappé entièrement, dès lors que vous pensez à un des titres les plus importants de la philosophie allemande, Critique de la raison pure. Et on se demanderace que cela veut dire au juste, qu'est-ce qui est si pur, que signifie «impur». Comment la raison peut-elle être donc être «pure», «pure» de quoi, qui l'a ainsi lavée? Oui, voilà de drôles de questions, mais je pense très concrètement. «Pur» signifie donc afrranchi de l'expérience, affranchi du langage, affranchi de l'histoire. Ce fut déjà un combat entre Kant et Hamann. Il se peut que quelques-uns d'entre vous aient déjà entendu ce nom sous lequel je ne mets pas le Amam du rôle d'Esther, mais Johann Georg Hamann. Schmitt s'est battu contre une chose: la pure théorie du droit. La pure théorie juridique était en effet celle sans aucun égard pour l'histoire réelle.(Plus loin (page 102) Taubes se demandera ce que signifie la loi.)
Jacob Taubes, En divergent accord - À propos de Carl Schmitt, p.90
Le décisif pour moi, c'est que Schmitt a compris que l'histoire est une pensée à délai limité, une pensée par délai, que le temps est délai; ce n'avait jamais été aussi bien clarifié dans la réflexion philosophico-théologique aupraravant. […]Nous assistons donc à l'inscription de la décision au cœur de la politique et de la philosophie, et c'est reposant, ou enthousiasmant. Ce merveilleux esprit concret ne manque cependant pas d'élévation: mais que peut bien vouloir dire «[Carl Schmitt] saute la phase mystique, donc la phase démocratique […]» (p.105)? Je ne comprends pas mais cette incompréhension est bien plus joyeuse qu'une saisie immédiate. Ravissement de la pensée à concevoir la démocratie comme [une] mystique.
La question majeure est en effet celle de la moralité, et là je conteste tout ce qu'a dit Monsieur Sontheimer, et ce pour la raison de principe que voici: il n'a pas seulement défini d'un point de vue moral l'immoralité de la décision, mais il a aussi oublié une réalité foncièrement humaine, à savoir que l'homme, quoi qu'il fasse et dise, agit dans le temps. Par exemple, nous avons une controverse et mon président de séance déclare qu'il faut en terminer à un moment donné. Au plus tard le dernier jour, mais à un moment quelconque arrive le terme. On ne peut pas discuter et encore discuter sans fin, à un moment quelconque vient qu'on agit. Donc, le problème du temps est un problème moral et le décisionnisme consiste à signifier qu'il n'y a pas de prolongation à l'infini. Il faut qu'à un moment quelconque du processus au Parlement […] peu importe si le prince s'entretient avec ses conseillers secrets ou le Parlement lui-même, tous s'entretiennent dans le temps, il faut donc qu'à un quelconque moment ils agissent. Et quiconque le nie est immoral, ne comprend effectivement pas la situation humaine, qui est finitude et, parce que finitude, doit céder la place, c'est-à-dire oblige à décider. Donc, je conteste que vous jugiez à partir d'une morale, vous faites de la sorte à partir d'une ignorance de la situation humaine.
Ibid., p.96-97
Je peux m'imaginer en apocalyptique: le monde, qu'il périsse. I have no spiritual investment in the world as it is. Mais je comprends qu'un autre, lui, investisse dans ce monde et voie dans l'apocalypse, sous quelque forme que ce soit, le principe adverse et qu'il fasse tout le possible pour le subjuguer et le réprimer, parce que venant de là peuvent se déchaîner des forces que nous ne sommes pas en situation de surmonter.«Le monde, qu'il périsse.» Oui, ça me plaît.
Ibid., p.111
mardi 17 mai 2011
Par VS, mardi 17 mai 2011 à 11:26 :: Schmitt, Carl
Rien ne saurait échapper à cette logique du politique. Que l'opposition des pacifistes contre la guerre grandisse jusqu'à les précipiter dans une guerre contre les non-pacifistes, dans une guerre contre la guerre, et cela prouverait que ce pacifisme dispose de fait d'un certain potentiel politique, vu qu'il est assez fort pour regrouper les hommes en amis et ennemis. Quand la volonté d'empêcher la guerre est telle qu'elle ne craint plus la guerre elle-même, c'est que cette volonté est devenue un mobile politique, ce qui revient à dire qu'elle admet la guerre, encore qu'à titre d'éventualité extrême, et qu'elle admet même le sens de la guerre. Il y a là, semble-t-il, un procédé de justification des guerres particulièrement fécond de nos jours. Dans ce cas, les guerres se déroulent, chacune à son tour, sous forme de toute dernière des guerres que se livrent l'humanité. Des guerres de ce type se distinguent fatalement par leur violence et leur inhumanité pour la raison que, transcendant le politique, il est nécessaire qu'elles discréditent aussi l'ennemi dans les catégories morales et autres pour en faire un monstre inhumain, qu'il ne suffit pas de repousser mais qui doit être anéanti définitivement au lieu d'être simplement cet ennemi qu'il faut remettre à sa place, reconduire à l'intérieur de ses frontières.
Carl Schmitt, La notion de politique, p.76-77 (1932 révisé en 1963, Calmann-Lévy 1972)
lundi 16 mai 2011
Par VS, lundi 16 mai 2011 à 09:47 :: Schmitt, Carl
Mais il n'y a pas lieu d'examiner ici si l'on juge répréhensible ou non (en y trouvant éventuellement une survivance atavique d'époques barbares) le fait que les peuples persistent à se situer très réellement les uns par rapport aux autres selon qu'ils sont amis ou ennemis, si l'on espère que cette discrimination disparaîtra un jour de la Terre, et s'il ne serait pas juste et bon de feindre, pour des raisons d'ordre éducatif, qu'il n'y a pas d'ennemis du tout. Ce ne sont pas les fictions et les abstractions normatives qui font l'objet de cette étude, mais la réalité existentielle et la possibilité effective de la discrimination en question.
Carl Schmitt, La notion de politique, p.68 (1932 revu en 1963, Calmann-Lévy 1972).
Par VS, lundi 16 mai 2011 à 09:15 :: Schmitt, Carl
L'ennemi politique ne sera pas nécessairement mauvais dans l'ordre de la moralité ou laid dans l'ordre esthétique, il ne jouera pas forcément le rôle d'un concurrent au niveau de l'économie, il pourra même, à l'occasion, paraître avantageux de faire des affaires avec lui. Il se trouve simplement qu'il est l'autre, l'étranger, et il suffit, pour définir sa nature, qu'il soit, dans son existence même et en un sens particulièrement fort, cet être autre, étranger et tel qu'à la limite des conflits avec lui soient possibles qui ne sauraient être résolus ni par un ensemble de normes générales établies à l'avance, ni par la sentence d'un tiers, réputé non concerné et impartial.
Carl Schmitt, La notion de politique, p.66 (1932 revu en 1963, Calmann-Lévy 1972)
dimanche 15 mai 2011
Par VS, dimanche 15 mai 2011 à 22:57 :: Storme, Tristan
Depuis cinq ans, c'est le statut même de digne penseur ou de philosophe que l'on cherche à abroger, Schmitt serait tout au plus un «nazi philosophe», c'est-à-dire, d'abord et avant tout, un nazi1. On en vint donc, tout naturellement, à des conclusions austères et radicales: lire Carl Schmitt serait, sinon un exercice nocif et mortifère, du moins un gaspillage considérable de temps. […] Par conséquent, les lecteurs assidus de Schmitt, ceux qui étudient ses réflexions avec vigilance, au premier rang desquels se situent les théoriciens de la parenthèse, s'en retrouvent déconsidérés, si pas frappés d'anathème. Tout véritable débat devient impossible dès lors qu'une frange appréciable des spécialistes du juriste est littéralement suspectée d'entreprendre la réhabilitation d'une pensée dangereuse et inféconde, par le biais, notamment, d'une expurgation minutieuse et calculée des textes. Ce ne sont plus seulement les thèses des partisans de la rupture que l'on cherche à rejeter en bloc: c'est leur qualité même d'herméneutes qui s'en retrouve ouvertement déniée. Ces chercheurs sont nommément accusés de blanchir un auteur nazi et antisémite, ce qui empêche de continuer à leur reconnaître un statut authentique d'interlocuteurs valables2.La note 4 en bas de la page 16 donne quelques noms appartenant à chaque camp. Je la résume ici en forme de listes:
Tristan Storme, Carl Schmitt et le marcionisme, p.16-17
Le Dieu de la Nouvelle Alliance, foncièrement bon et rédempteur, s'opposerait au Créateur de ce monde, un Dieu de colère, cruel et vipérin. Ainsi Marcion rompt-il le fil extrêmement ténu qui reliait la création à la rédemption. Le deus saeculi huius dont nous parle l'Ancien Testament, le Créateur du ciel et de la terre, serait responsable d'un «monde mauvais, stupide et grouillant de vermine3», ainsi que de la nature mortelle de l'homme, une créature marquée du sceau indéniable de la faiblesse, une œuvre chétive et misérable. C'est pourquoi il est impensable que Jésus-Christ soit le fils de ce Dieu corrompu et malveillant: il représente et annonce un tout nouveau Dieu, le Novus deus, bon et miséricordieux, qu'aucun lien naturel et qu'aucune obligation ne relie à l'homme. […] Le Dieu chrétien se laisse ainsi exclusivement déterminer d'après la rédemption de son Fils: contre l'élection du peuple juif, le Christ annonce l'universalité de la rédemption; aussi, à travers ses conceptions sotériologiques, s'affirme le dépérissement de la Circoncision dans l'Eucharistie.Le but de Tristan Storme est d'étudier cette hypothèse (Schmitt adepte de l'hérésie marcioniste) pour la valider ou l'invalider. Soulignons que retenir cette hypothèse pour en faire un objet d'étude, c'est considérer la théologie comme un domaine constitutif de la pensée schmittienne, comme l'explique le texte stormien.
Ibid. p.24 et 25
A Plettenberg, j'eus les entretiens les plus tempétueux que j'aie jamais menés en langue allemande. Il s'agissait d'historiographie in nuce, comprimée dans l'image mythique. C'est le préjugé de la corporation que les images mythiques ou les termes mystiques soient de vagues oracles, flexibles et docilement soumis à toute volonté, tandis que le langage scientifique du positivisme aurait pris la vérité en bail. Rien ne peut être plus éloigné des états de chose réel que ce préjugé historiciste. Dans sa lutte contre l'historicisme, Carl Schmitt se savait en accord avec Walter Benjamin, ou plus exactement c'était Benjamin qui se savait en accord avec Carl Schmitt.Et cependant, ("cependant" puisque qu'on est habitué à opposer interprétation mythologique et monde physique), Jacob Taubes ou Julien Freund insistent sur la dimension pragmatique de la pensée schmittienne: impossible quand on réfléchit sur l'organisation politique contemporaine de ne pas être aux prises avec l'actualité:
Jacob Taubes, En divergent accord, p.50
Le décisif pour moi est que Schmitt a compris que l'histoire est une pensée à délai limité, une pensée par délai, que le temps est délai; ce n'avait pas été aussi bien clarifié dans la réflexion philosophico-théologique auparavant. […] Au plus tard le dernier jour, mais à un moment quelconque arrive le teme. On ne peut pas discuter et encore discuter sans fin, à un moment quelconque vient qu'on agit. Donc, le problème du temps est un problème moral et le décisionnisme consiste à signifier qu'il n'y a pas de prolongation à l'infini.et Julien Freund, dans sa préface à La notion de politique:
Jacob Taubes, En divergent accord, p.96-97
On n'aurait aucune peine à montrer que les ouvrages de Carl Schmitt étaient liés, au moment où il les rédigeait, à une situation politique concrète et que pour cette raison ils véhiculaient une certaine idéologie et constituaient même une prise de position dans le contexte politique de la période considérée. […] N'a-t-il pas poussé le souvi de concilier la réflexion théorique et la prise de position pratique jusqu'à s'exposer à passer aux yeux de ses adversaires pour le Kronjuriste (le juriste principal) du début du régime hitlérien? Son œuvre constitue une aventure à la fois intellectuelle et personnelle.
Julien Freund, préface à La notion de politique, p.34-35 - Calmann-Lévy 1972
Le juriste a l'intime conviction que, derrière l'hégémonie des États-Unis, ce sont les Juifs, les Juifs de toujours, qui refirent irruption au cœur de la nation allemande, glorieux et inusables, dans l'objectif non assumé d'enrayer la chrétienté germanique instigatrice d'un projet multipolaire pour le monde de l'après-guerre.Les juifs sont l'ennemi, sans territoire, ils tiennent les mers, détruisent la cohésion de l'Etat, veulent l'universalisme — et donc la guerre sans merci, puisqu'il n'est plus possible (il est interdit) de penser l'ennemi. Il n'y a plus d'ennemis, il n'y a que des criminels.
L'idée fixe qui tourmentera Carl Schmitt durant tout le reste de son existence à Plettenberg demeure l'image mentale d'une «infiltration» juive — une infiltration que favorisèrent amplement les États-Unis eux-mêmes dominés par l'obscurantisme juif — dans le cœur de la société allemande et dans les sphères du savoir, le peuple hébraïque ayant profité des dissensions causées au sortir de la guerre : «Lorsque, en nous-mêmes, nous nous sommes divisés, les juifs se sont sub-introduits4».
Tristan Storme, Carl Schmitt et le marcionisme, p.208-209
dimanche 8 mai 2011
Par VS, dimanche 8 mai 2011 à 13:34 :: Taubes, Jacob
Un petit écrit est parvenu à Jérusalem (malheureusement pas à moi, mais à un «adversaire» des Allemands): Ex captivate salus. D'autres ont estimé, «indignés»: confession trop insuffisante de la faute, dérobade. A nous, cela parut un émouvant rapport qui, s'il n'éclairait pas tout, laissait voir néanmoins jusqu'au fond d'une âme; jamais encore je n'ai lu de quelqu'un appartenant à notre génération un récit aussi intime et néanmoins aussi noble (et véridique également), mieux, un tel règlement de compte avec soi-même. Si seulement M. H. avait eu le courage de se juger lui-même ainsi, après que le discours du rectorat en 1933, et bien d'autres choses — la relation à Husserl, l'article du journal des étudiants — as-tu lu cela? Pourrais-je en avoir copie? Buber m'en a parlé. Löwith a écrit là-dessus dans Les Temps modernes, etc. — furent «restés là», il aurait ainsi indiqué à la jeunesse d'Allemagne en recherche une meilleure voie que le Feldweg [Chemin de campagne] (au début, je ne pouvais croire que ce genre de méditation, cette marinade à la Stifter, provenait de M.H. et j'ai parié pour un «cousin par le nom», un homonyme, lorsque j'ai vu l'article dans une revue catholique, Wort une Wahrheit [Parole et Vérité]). Mais Buber m'a dit, Taubes, vous connaissez Être et Temps, vous ne connaissez pas H. — et il avait raison.
Jacob Taubes, En divergent accord, "lettre à Armin Mohler", p.59
mercredi 4 mai 2011
Par VS, mercredi 4 mai 2011 à 13:14 :: Taubes, Jacob
J'ai parlé quarante minutes. Il s'ensuivit un long silence, presque pénible.
Puis le professeur se manifesta et tua toute discussion possible ou en germe, d'abord par sa façon de déprécier Carl Schmitt, «mauvais homme», dont je rapportais les thèses dans le quatrième chapitre de la Théologie politique, et ensuite, de rejeter comme «terriblement unilatérale» une ligne tracée à travers la première moitié du XIXe siècle, telle que le proposait Karl Löwith, de sorte que, à la fin de la séance de séminaire, je me trouvais devant un tas de ruines fait de mes thèses. Aucune interprétation alternative ne fut proposée au problème que j'avais touché, mais on poursuivit dans ce séminaire obtusément: de semaine en semaine, de thème en thème.
Sans le vouloir, le professeur Leonhardt von Muralt m'avait infligé une leçon, à savoir combien Carl Schmitt avait raison de citer Hobbes: auctoritas non veritas facit legem (C'est l'autorité, non la vérité, qui fait la loi).
Jacob Taubes, En divergent accord - A propos de Carl Schmitt, p.28-29
jeudi 21 avril 2011
Par VS, jeudi 21 avril 2011 à 16:17 :: Storme, Tristan
La tradition juive de la Kabbale nous aurait livré une lecture en tous points éloignée des conceptions chrétiennes. En effet, le Créateur du ciel et de la terre, plutôt que d'affronter le Léviathan, se divertirait en sa compagnie: «Leur Dieu joue avec lui*.» Et les Juifs en feraient tout autant, ils s'amuseraient aux côtés de l'abomination qu'ils réussirent à apprivoiser. Bien plus, à l'approche de la fin des temps, devant l'imminence des plus grands malheurs qu'il s'agirait de retenir, le peuple élu se ruerait sur le monstre aquatique l'arme blanche à la main, sans prendre garde au fait que celui-ci pourrait constituer le meilleur allié face à la survenue des dangers. Les Juifs chercheraient plutôt à découper le Léviathan en fines lamelles, à le dépecer en vue d'en savourer la chair et de célébrer ainsi dignement le Banquet millénaire.
Tristan Storme, Carl Schmitt et le marcionisme, p.122
Par VS, jeudi 21 avril 2011 à 16:15 :: Storme, Tristan
Afin de soumettre et défaire l'adversaire diabolique, Dieu aurait fixé le Christ en croix sur un hameçon qu'il agiterait depuis l'extrêmité d'un fil. Le grand poisson, séduit par la saveur divine d'un tel mets, aurait tenté de croquer le Fils de l'Homme, tandis que le piège se refermait sur lui. Dieu aurait donc triompher du Léviathan, de la créature démoniaque, par le truchement de la mort du Messie sur la croix. À travers l'allégorie patristique du diable vaincu, le Très-Haut était figuré «en pêcheur, le Christ comme appât sur l'hameçon, et le Léviathan comme poisson géant pris à l'hameçon.1»
Tristan Storme, Carl Schmitt et le marcionisme, p.121-122
Par VS, jeudi 21 avril 2011 à 16:09 :: Storme, Tristan
Si l'on accepte le verdict proclamé outre-Rhin, un tel ouvrage contiendrait la quintessence d'une pensée politique complexe, difficile à saisir. Le Léviathan de Carl Schmitt représenterait à la fois un tournant dans les réflexions de l'auteur — Schmitt revoit en effet sa position à l'encontre du libéralisme — et une confirmation des thèses antérieures, tant l'Etat fort demeure malgré tout la conformation à opposer aux conceptions libérales qui favoriseraient la fuite du politique en dehors de l'Etat. Le juriste n'a aucunement hésité à présenter cette double «position» comme une critique à peine déguisée du régime national-socialiste, arguée au nez et à la barbe des intellectuels nazis les plus hauts placés.
Tristan Storme, Carl Schmitt et le marcionisme, p.117-118
mercredi 20 avril 2011
Par VS, mercredi 20 avril 2011 à 08:22 :: Storme, Tristan
À l'origine du dialogue entre les deux philosophes se situe la fameuse lettre de Benjamin envoyée au penseur conservateur, que Taubes qualifia un jour de «mine faisant tout bonnement exploser nos représentations de l'histoire intellectuelle dans la période de Weimar1». Ce courrier daté de décembre 1930 n'est pas repris dans la Correspondance de l'esthéticien que Gershom Scholem et Theodor Adorno publièrent en deux volumes courant 1966; une telle lettre aurait brisé, ou à tout le moins altéré, l'image de l'auteur allemand que ses anciens amis cherchaient à diffuser 2. Pour preuve, Walter Benjamin y reconnaît expressément sa dette envers la présentations schmittienne «de la théorie de la souveraineté au XVIIe siècle […] [et les] modes de recherche3» développés dans La Dictature. Semblables éloges ne laissèrent pas Schmitt insensible, qui, pour la peine, mentionna cette lettre dans Hamlet ou Hécube4, ouvrage dans lequel il souligne, d'autre part, la grande valeur du travail de son collègue5. On constate, au final, que les deux hommes partageaient, sinon une admiration l'un pour l'autre, du moins un respect durable et réciproque. Le juriste prétendra d'ailleurs que tous deux «entretenaient des contacts quotidiens [we were in daily contact]6» L'intérêt de Benjamin pour Schmitt — cet incident particulièrement irritant de l'époque de Weimar — dépassera les simples aveux laconiques contenus dans les quelques lignes de ce courrier (et relayés dans Hamlet et Hécube), puis qu'il ira jusqu'à nourrir un véritable débat intellectuel sur les notions de souveraineté et d'état d'exception.Les pages qui suivent me rappellent ma première dissertation de philo en hypokhâgne, dont le sujet était à peu près : "Pour philosopher, faut-il lire les philosophes?"
Tristan Storme, Carl Schmitt et le marcionime, p.108-109
dimanche 17 avril 2011
Par VS, dimanche 17 avril 2011 à 11:52 :: Storme, Tristan
La fonction conditionne l'individu, le promeut à l'état de «pape»; ou plutôt, c'est l'individu qui, à travers l'exercice de sa fonction, cesse d'être un homme, se démet de sa mortalité, pour atteindre le statut de «fonctionnaire» — le Pontifex maximus capable de représenter le Christ lui-même, personnellement. La mort de l'individu équivaut à la naissance du gouvernant, qui, puisqu'il ne vit publiquement que par son statut, que par sa fonction, et non par son humanité, échappe à la souillure originelle.remarque : Comment ne pas penser au père de Sébastian Haffner, fonctionnaire allemand modèle de l'entre-deux guerres?
Tristan Storme, Carl Schmitt et le marcionisme, p.81
Par VS, dimanche 17 avril 2011 à 11:42 :: Storme, Tristan
Tout comme la société humaine est représentée à travers le pouvoir de l'Église, le peuple rassemblé, mais informe politiquement, est représenté par une instance trancendante et supérieure qui, d'un même geste, lui donne sa forme politique: l'État assure le passage de la voluntas — de l'unité —, au «vouloir» authentique — à la prise de décision.
Tristan Storme, Carl Schmitt et le marcionisme, p.78
vendredi 15 avril 2011
Par VS, vendredi 15 avril 2011 à 19:23 :: Storme, Tristan
Dans un commentaire qu'il fit du célèbre poème cosmologique de son ami Theodor Däubler, portant le titre énigmatique de Nordlicht [aurore boréale], Carl Schmitt recourt expressément à l'imagerie vétérotestamentaire:
« Ils [les hommes de l'époque] veulent le ciel sur la terre, le ciel comme résultat de l'industrie et du commerce; il doit se trouver ici sur terre, à Berlin, Paris ou New York, un ciel avec des bains, des automobiles et des fauteuils club, dont le livre sacré serait le guide du voyageur. Ils ne veulent pas le Dieu de l'amour et de la gâce, et puisqu'ils ont déjà réalisé tant de choses étonnantes, pourquoi ne «fabriqueraient-ils pas» [machen] la tour [Turmbau, allusion à la construction de la tour de Babel] d'un ciel terrestre?»1
Tristan Storme, Carl Schmitt et le marcionisme, p.61
jeudi 14 avril 2011
Par VS, jeudi 14 avril 2011 à 23:48 :: Storme, Tristan
Tout comme la distinction entre l'ami et l'ennemi, le dogme théologique fondamental affirmant le péché du monde et l'homme pécheur aboutit (tant que la théologie ne s'est pas dégradée en morale normative pure ou en pédagogie, et le dogme en pure discipline) à répartir les hommes en catégories, à marquer les distances, et il rend impossible l'optimisme indifférencié propre aux conceptions courantes de l'homme.
C. Schmitt, La Notion de politique, p.108-109 Flammarion, 2004, cité par Tristan Storme dans Carl Schmitt et le marcionisme p.47 (C'est Tristan Storme qui souligne).
Les relations d'amitié — la constitution de groupes amis, prépolitiques, — ne sont pas définies par l'émergence de l'ennemi; elle s'établissent au sein de l'état de nature et représentent le réquisit indispensable d'une incrémentation politique ultérieure. Il n'y a d'ennemi politique que s'il lui préexiste une entité groupale, une collectivité prédisposée à devenir politique, à discriminer l'ennemi, s'étant déjà elle-même homogénéisée. (Tristan Storme, opus cité, p.48)
[…]
C'est à travers l'«apparition» soudaine de l'ennemi, à travers son surgissement, que la politicité de l'amitié groupale, ce la nation homogène, devient efficiente. (''Ibid'', p.50)
[…]
[L'ennemi] menace de mettre à mort l'amitié, par le biais d'une lutte armée, d'une lutte possiblement réelle. Cette tension entre possibilité et effectivité, entre virtualité et réalité, permet au groupe ami, à la nation, d'atteindre le status politicus; elle vient consolider l'amitié homogène dans son critère extrême d'association, et en attiser la conscience. (p.51)
lundi 11 avril 2011
Par VS, lundi 11 avril 2011 à 23:55 :: Storme, Tristan
Confondre la vie de l'homme avec celle de l'œuvre (désormais déchue au rang de «documents»), c'est-à-dire réduire la valeur d'une pensée aux convictions et comportements politiques de son auteur, aussi funestes furent-ils, revient à s'interdire toute possibilité d'une compréhension rigoureuse de l'œuvre en tant qu'œuvre, à déclarer la mise en bière des vertus de l'analyse systématique.
Tristan Storme, Carl Schmitt et le marcionisme, p.18
Par VS, lundi 11 avril 2011 à 23:48 :: Storme, Tristan
Malgré le caractère éristique et agité du débat entre continuistes et théoriciens de la parenthèse, se faisait jour la réalité d'un dialogue scientifique, douloureux mais tangible, que la publication en français d'un ouvrage fort controversé du juriste, rédigé en 1938 et teinté d'un antisémitisme virulent, poussa jusqu'à des conclusions extrêmes: la traduction en 2002, du Léviathan dans la doctine de l'Etat de Thomas Hobbes, sous-titré Sens et échec d'un symbole politique, provoqua le revirement d'une querelle, jusqu'ici dialogique.Il s'agit du débat autour de la période nationale-socialiste de Schmitt: continuité ou parenthèse?
Tristan Storme, Carl Schmitt et le marcionisme, p.13-14
Index général
Index RC
Index Renaud Camus